Idete est un village situé sur les hauteurs de Ilonga, lui-même à cinq kilomètres au Nord-est de Kilosa. C'est à Ilonga que se trouve l'un des centres de recherche agricole TARI (Tanzania Agriculture Research Institute) et sa ferme semencière.
Idete nous est connu car la femme de Kimsi vient de ce village. Ce sont essentiellement des Wapogoro qui peuplent la région, un peuple proche des Wasagara qui sont à l'origine du village de Chabima. Les langues sont proches, nombre de coutumes sont communes à ces peuples ainsi qu'aux Waluguru et aux Wakagaru, tous des peuples de montagnes.
Par téléphone Kimsi a engagé des pourparlers et déjà la belle-famille se dit intéressée. Son beau-père et son fils Faham entament les démarches, ce qui signifie prévenir le maire et le représentant de l'ordre. Ce dernier au bout de quelques jours demande une lettre pour prévenir de notre arrivée, les Tanzaniens étant en général assez bureaucratiques. Nous comptions arriver lundi 9, y dormir et faire la réunion le lendemain matin le 10. Et nous sommes vendredi ! Je réponds qu'il est fort possible d'écrire cette lettre, mais qu'aller à Ilonga, à plus de cinquante kilomètres du village pour la déposer, et compter sur quelqu'un qui vienne d'Idete pour la prendre, cela fait beaucoup de dépenses et de trajet inutiles.
Nous allons donc à Idete le lundi, Kimsi et moi. Chacun sur une moto car au retour Kimsi redescendra avec sa femme qui est dans sa famille depuis une semaine. Kimsi a aussi demandé à Rafaeli, ce jeune qui travaille constamment avec Kimsi, de nous accompagner, persuadé que je n'arriverai pas à conduire sur cette route difficile.
Tout en haut à gauche, Idete. La piste part de la route goudronnée qui va de Kilosa à Dumila, en bas à droite, à 500 mètres d'altitude. Elle monte sur le plateau de façon abrupte jusqu'à 900 mètres ou plus.
Et pour être difficile, elle l'est : le plus ardu est de grimper sur le plateau, un plateau granitique très vallonné où se sont installées les habitations. C'est un paysage à l'ancienne, une disposition que connaissait toute la Tanzanie autrefois. Chaque famille, souvent au sens large, se trouve sur une petite hauteur entourée de ses champs. En contrebas un cours d'eau où les femmes vont puiser et transporter de l'eau à la maison, et le fond des vallées est occupé par les champs. L'on remonte la pente et on trouve un oncle, un frère ... Bref une autre famille.
Une route avait été taillée dans la partie argileuse, mais elle s'était tellement dégradée que les motos passent maintenant sur la crête. La moto bondit sur la piste, dérape sur les cailloux, s'enfonce dans les saignées de la route. Et ce pendant plus d'une heure. En haut pourtant, comme mentionné le sentier est meilleur et l'on prend une vitesse de croisière. Les talus bordant la route au sommet sont de l'argile rouge, plus stable que l'argile jaunâtre des contreforts du plateau. De place en place un bloc de granite assez dégradé, avec de profondes diaclases apparentes.
Le ravinement par les pluies dénudent les pierres. La partie en piémont est composée d'argile jaune.
Vue sur la plaine depuis le plateau
La région se présente comme une immense plaine parsemée d'extrusions
granitiques pures, comme à Mahenge, ou de massifs de roches plus ou
moins fortement métamorphisées comme les monts Usagara, Uluguru ...
Le plateau est plutôt constitué de roches métamorphiques et d'argile rouge. La couverture humifère est relativement mince.
Les bas-fonds sont occupés par les cultures, les maisons sont sur des éperons ou des crêtes.
De place en place un bloc de granite.
Nous traversons parfois un petit hameau, et l'on nous hèle pour savoir où nous allons. Arrivés à un hameau quelques kilomètres avant Idete nous tournons à gauche. Mon GPS m'indique une altitude de mille mètres, contre cinq cents à Ilonga. Depuis le carrefour d'Ilonga nous avons parcouru 12,2 kilomètres, en une heure de temps. Une moyenne assez basse, et si je ne me trompe pas dans mes calculs, cela donne 12,2 kilomètres à l'heure.
Il est assez tôt, dans les onze heures. Nous arrivons chez le beau-père de Kimsi, dont la maison est à 930 mètres d'altitude. L'un des fils, Faham, qui prendra le projet en charge, est persuadé que je fais des exercices tous les matins car j'ai réussi à grimper sur le plateau. C'est vrai que les bras me tirent, il faut constamment tenir la moto de façon ferme. La semaine suivante Kimsi me conduira à Ndete, un lieu-dit situé au sud-ouest de Chabima. Il monte derrière moi avec confiance, l'autre moto transporte la pompe. Il m'avouera que puisque j'ai réussi à grimper à Idete je peux aller sur tous les terrains. J'ai réussi un test, en quelque sorte. Note : ne pas abandonner les pompes le matin
Nous attendons, bavardant tranquillement. Le beau-père revient avec une poule, me la tend : un cadeau
de bienvenue pour le repas. Et il y ajoute un couteau, c'est à l'invité de
l'égorger. Je vais plus loin près des bananiers, le fais en restant en vue
des autres. Je montre ainsi que je me recueille avant de prendre cette
vie, sans aucune ambiguïté quant à un geste apparenté à la sorcellerie.
Des haricots sont mis à sécher avant battage. Les fléaux utilisés ne sont pas articulés.
Les animaux sont dans des enclos.
Les petits cochons seuls sortent et vaquent non loin.
Une presse à canne à sucre. Deux personnes tournent les rouleaux.
Dans l'après-midi nous allons au village proprement dit, chez le représentant de l'ordre. Ce dernier est désigné par le chef de la Sécurité du District, à Kilosa, tandis que le maire est élu par les habitants. Il écoute le projet, le trouve intéressant et pose la question que tout le monde se pose, et qui fait le plus de bruit : "Quel est mon intérêt dans ce projet ? Qu'est-ce que j'y gagne ?" Je reprends l'historique et explique alors que pour habiter en Tanzanie, où je comptais passer ma retraite, je dois avoir un travail. Ce travail est en lien avec l'association FAID avec qui nous avons monté ce projet, ce qui me permet de vivre ici.
Autour de nous il y a peu d'arbres. Quelques manguiers non
greffés, mais en général tous les arbres ont été coupés. Le soir Faham me
dira que lorsqu'il était petit il y avait beaucoup de forêt : "Tu vois là
en bas, jusqu'au sommet de la colline c'était boisé". Ce qui donne ce
paysage un peu pelé.
Les gens sont travailleurs, encore bien plus qu'à
Chabima avec de belles maisons, en briques ou en terre. Mais toutes
donnent l'impression d'être bien entretenues, avec des cours propres.
En haut à droite une deuxième habitation.
La colline était boisée il y a moins de vingt ans.
On me demande de l'argent pour les piles du mégaphone afin que le crieur puisse avertir la population. Il ira dans tous les hameaux ou presque, parcourant ainsi au moins quinze kilomètres. La réunion est fixée au lendemain, à 9h. Par précaution on indique 8h. Elle commencera à 10 heures.
La nuit se passe de façon tranquille. Il fait assez froid mais Faham a enjoint à sa femme de dormir ailleurs, tandis qu'il me propose de partager son lit. Un lit en bois avec un matelas plutôt dur, une toile rembourrée de je ne sais quoi, de la paille peut-être. Kimsi ayant décidé de dormir avec sa femme, sur une natte par terre dans une autre maison, Rafaeli, qui nous a accompagné depuis Chabima, viendra nous rejoindre par la suite. A trois nous aurons chaud.
La réunion se fait donc avec le maire, devant le bureau. J'explique le projet, Kimsi y ajoute des précisions. Les questions sont précises, nettes. L'une d'elles était à prévoir :
- Pourquoi ne pas donner les plants, simplement ?
J'explique que lorsqu'on fait un don les gens ne s'approprient pas le projet, ils estiment que si l'arbre, en l'occurrence, se dessèche, ils en obtiendront un autre. Cela m'est arrivé à Chabima, des plants de vigne ont été laissés à l'abandon, par flemme d'arroser. Deux arbres à pain, à vingt mètres l'un de l'autre, sont morts chez quelqu'un d'autre : le premier de sécheresse, le deuxième a pourri pendant les grosses pluies.
La réunion aura duré deux heures. Les gens concluent en affirmant qu'ils "reçoivent le projet", ce qui peut aussi se traduire par "ils acceptent le projet".
Quelques jours après je retourne à Ilonga, dépose des formulaires chez quelqu'un. Faham viendra les chercher en moto, sachant que l'on a fixé une date limite à fin novembre.
Un bon projet, des villageois motivés, intéressés. Cela fait plaisir.